La question resurgit de temps en temps, jette le trouble dans le public et s’éclipse aussi vite qu’elle est apparue, supplantée par un autre débat encore plus éphémère et assez impoli pour lui couper la parole en la privant invariablement de réponse. Nous n’aurons pas la grossièreté d’évoquer les affaires qui ont valu à ce petit problème ses plus récentes heures de gloire. La gloire passe, les questions res- tent ; nous tâcherons plutôt d’en éclaircir un petit pan, en nous consacrant plus précisément au problème du ridicule dans la litté- rature, et plus précisément encore à celui que l’on fait porter aux vices ou aux défauts que l’on cherche à dénoncer : en un mot, à la satire.
Pensez à La Bruyère, à Molière, à Voltaire. Ces quelques grands noms suffisent à vous dresser le portrait d’un écrivain dont l’œil vif et la plume aiguisée savent croquer sans indulgence les traits les plus bouffons de leurs adversaires. Un tel auteur, par son génie, suscite en quelques mots les rires et met de son côté le bon sens, le bon goût, le bon ton, écrasant du même coup l’ennemi sous la mortelle avalanche de la dérision dont si peu sortent indemnes. Toutes convictions mises à part, on ne peut qu’admirer le talent de nos grands satiristes, manieurs habiles de la mise en scène, de l’art du portrait et de l’implicite. Le lecteur bien éduqué pourra toute- fois éprouver une certaine gêne à voir l’individu (fictif ou réel) im- placablement livré aux lazzi de la foule insensible. La satire offense- t-elle la charité ou la justice ? Peut-elle vraiment se targuer de la belle intention de corriger les mœurs, lors même qu’elle se rend si suspecte de simplement chercher à s’attirer les bonnes grâces des rieurs ? D’ailleurs, connaît-on un seul avare que Molière ait rendu magnifique ? Une seule mégère que Shakespeare ait apprivoisée ?
De quoi se moque-t-on ?
La nature du rire a fait l’objet de longs débats. Il n’y a pas si longtemps, Bergson y consacrait un traité. Dans une excursion aus- si rare qu’audacieuse, Dame Philosophie se rendait aux Bouffes- Parisiens. Peut-être trop engagé, par un compréhensible désir d’harmonie, à relier cette question au reste de son système, Bergson définissait le comique comme le caractère d’une situation qui ôte en apparence à l’homme sa qualité d’être humain ou aux choses ce qu’elles pourraient avoir d’anthropomorphique, pour y calquer les comportements mécaniques du non-humain. Le rire naît selon lui de la perception de « quelque chose de mécanique dans quelque chose de vivant ». Ainsi, toute application mécanique d’une loi non humaine génèrerait chez l’homme (ou chez un être analogue) une apparence irrémédiablement ridicule. Le personnage du distrait ou du maladroit correspond tout à fait à cette définition, de même que la gestuelle de l’aller-retour, ou encore le comique d’une lo- gique poussée à l’absurde, d’un sens littéral tenu à outrance, et tant d’autres encore.
L’analyse de Bergson a peut-être ses limites. Plus partagée est l’opinion selon laquelle le rire naîtrait de la perception d’une contradiction ou d’un décalage entre la situation présente et celle que l’on attendrait. D’où la notion de surprise qui semble si souvent se mêler à l’émotion précédant immédiatement le rire, bien qu’elle ne soit pas absolument nécessaire à son déclenchement. Le décalage comique est, lui, indispensable : la même plaisanterie, lancée à des personnes qui ne partagent pas les mêmes codes de comportement que nous, n’aurait aucun effet. Il faut connaître ou avoir l’intuition du bon usage pour pouvoir rire du mauvais.
Ce décalage peut s’observer dans des domaines différents : il peut s’agir du comique de situation, de caractère, de langage ou de geste. Tout cela nous a été appris lorsque nous étudiions à l’école les savoureuses comédies de nos classiques. Rien n’a changé, les re- cettes sont les mêmes.
Se réjouir du mal ?
Observons tout de même un point troublant. Cette notion de contradiction, d’anomalie, de décalage, mérite d’être creusée. Il faut admettre que le rire suscite la joie ; c’est là une évidence que même celui qui se fait mal aux côtes ne peut complètement nier. Or il convient d’affirmer que la joie ne peut naître que de la posses- sion d’un bien. Quelle étrange conséquence alors que la joie du rire au constat de l’anomalie, de l’incorrection qui constitue le procédé comique ! Se peut-il que notre nature soit à ce point faussée qu’elle se délecte de ce qui ne convient pas, qu’elle trouve un plaisir dé- voyé à savourer ce qui sort du bon ordre des choses ?
C’est encore dans le sens d’une condamnation du rire que pourrait nous orienter le constat de la prégnance de la moquerie dans l’humour. La plaisanterie est souvent au détriment d’autrui, souvent concentrée sur ses défauts, ses imperfections, ses erreurs. Le dindon de la farce, qu’il existe ou appartienne à la fiction, fait les frais de la comédie. Le rire repose sur son ridicule, et son ridi- cule lui est nécessairement préjudiciable : il se trouve toujours di- minué d’autant dans l’estime, la considération et l’opinion des gens. Ainsi la nuisance à la réputation d’autrui serait le moteur de notre réjouissance ?
Enfin s’ajoute le cortège des plaisanteries qui reposent soit sur le mensonge soit sur la bouffonnerie, l’un comme l’autre faisant l’objet des condamnations de l’apôtre. Quel humour peut être dit convenant au regard de notre nature d’êtres rationnels, qui plus est appelés au Salut ? Ici encore, l’expérience nous manifeste l’incon- venance de certaines boutades, même innocentes, dès lors qu’on les déplace dans un contexte grave et digne, autrement dit lorsqu’on les met en perspective avec les réalités les plus profondes, donc les plus vraies, de notre existence. L’indignité du rire, sinon sa malice, apparaît assez clairement dans une telle conjoncture.
On ne rit pas sans raison
La situation semble bien sombre. Comment réhabiliter le rire ? Plus délicat encore, comment justifier la satire ? Nous autres Fran- çais sommes devenus si friands de ce passe-temps qu’il semblerait bien cruel de prétendre nous en priver.
Rassurons-nous, Aristote vient à notre secours. Le père de la zoologie, qui, à ses heures perdues, ne répugnait pas non plus à
l’observation de l’homme, déclarait fort judicieusement que τὸ
µόνον γελᾶν τῶν ζῴων ἄνθρωπον. Cela est clair. Puisqu’il en est ainsi, il semblerait absurde de qualifier de vice une faculté qui nous est non seulement donnée par la nature, mais ce encore à l’exclu- sion des autres animaux, manifestant par là le lien nécessaire qui existe entre le rire et la raison. Les animaux savent jouer, mais ils ne rient pas. Nous seuls, Dieu merci ! sommes capables de nous ré- jouir d’une incongruité. La Création est assez bien faite pour nous épargner le mortifiant ricanement que nos animaux domestiques
ne manqueraient pas de nous adresser s’ils étaient sensibles au ridi- cule de notre vie privée.
Ainsi, la raison est-elle nécessaire au rire : on ne rit pas sans rai- son. C’est l’évidence même : il faut d’abord la saisir, cette incohé- rence qui nous réjouit mystérieusement, avant d’en rire ; cela sup- pose un jugement, une comparaison entre le présent et l’absent, entre l’état perçu et celui que nous envisageons de manière abs- traite. Le rire manifeste l’intelligence, et l’on peut même aller jus- qu’à dire qu’il la favorise, puisqu’il suppose son exercice.
Il faut comprendre pour rire, mais comprendre intuitivement. On ne rit pas à une boutade qu’on n’a pas saisie, et paradoxalement l’explication de cette même boutade tarit en général la source de son comique. La compréhension d’une incongruité doit être fulgu- rante pour provoquer l’éclat ; de même que la poudre doit s’en- flammer d’un coup pour propulser la balle, la puissance du rire est proportionnée à l’instantanéité de l’éclair qui saisit l’intelligence,
sans quoi la cartouche fait long feu, et le rire s’affaiblit en flam- mèches d’autant plus molles qu’elles ont été lentes à prendre.
Bienheureux les simples
Ce n’est donc pas la puissance de déduction qui fait l’aptitude au rire. Ici, l’intelligence n’opère pas de raisonnement ; elle se contente d’intuiter. Autrement dit, le rire n’est pas réservé aux sa- vants. Allons même jusqu’à observer qu’il suppose une certaine suspension du jugement critique, une acceptation de l’erreur comme une réalité bénigne, une ignorance volontaire des consé- quences qu’un tel désordre aurait dans l’ordre réel. Afin de rire, il ne faut pas prendre la chose au sérieux, c’est l’évidence même. Or il apparaît clairement qu’une même situation, racontée à l’occasion d’une plaisanterie ou bien se réalisant effectivement dans nos vies, se trouverait immanquablement chargée d’une vis comica bien dif- férente, si ce n’est opposée. Le comique ne produit ainsi son effet que sur un esprit qui adopte une attitude de simplicité réceptive, dénuée pour un temps de réflexivité critique, refusant — ou inca- pable — de peser la gravité de la chose perçue. Cet aspect justifie les réprimandes que l’on pourrait adresser à celui qui rirait d’une chose sérieuse, respectable ou dangereuse : il n’aurait pas pu — ou n’aurait pas voulu — saisir ce qu’il y avait de grave derrière les ap- parences cocasses de la situation. Son rire manifesterait une légèreté de jugement coupable.
Au point où nous en sommes, voilà déjà le rire paré de couleurs plus avenantes : il est le pain du pauvre, le sourire de l’humble. Ce- lui qui sait rire fait montre de sa capacité à rendre son œil simple, à se maintenir dans une saine indifférence qui ne fait pas accorder trop d’importance aux imperfections d’ici-bas. Il sera bien souvent celui qui sait rire de lui-même avec candeur et des autres sans ma- lice, se gardant à la fois de l’orgueil et du jugement. Cette âme simple réserve l’attention scrutatrice de son esprit aux vérités qui
méritent qu’on s’y arrête ; aussi la simplicité du rieur n’est-elle pas en opposition avec la profondeur du sage.
Quand tout va mal, tout va bien
Observons à ce propos une autre merveille du comique, sujet qui décidément ne s’épuise pas en paradoxes et semble s’ingénier à vouloir nous distraire. Nous avons cru observer dans un premier temps que l’humour naissait du constat d’un décalage entre la si- tuation présentée et la situation attendue ; autrement dit, n’est co- mique que ce qui est tordu, dévié, abîmé, incorrect, erroné par rapport à la normale. Mais aussitôt, peu soucieux de prémunir notre logique du reproche d’incohérence, avons-nous subtilement défendu la thèse selon laquelle le comique requérait un esprit simple, indifférent au mal ou à la gravité d’une anomalie. Faut-il donc abandonner tout souci de vraisemblance ? Peut-on à la fois affirmer que le comique naît de la perception de l’anomalie et de l’indifférence à l’anomalie ?
Certes oui, mais sous des rapports différents. C’est d’ailleurs pour cette raison que le comique est comique. Expliquons-nous.
Il semble avéré que le rire nécessite le constat d’une incongruité pour être suscité. Ce désordre, puisque c’en est un, ne suffit pas en soi à expliquer l’éclat d’hilarité qui secoue le rieur et inflige à son diaphragme de si surprenantes convulsions. D’ailleurs, dans notre quotidien, le constat d’un désordre provoque plutôt l’irritation, la gêne ou la tristesse que la joie. Ainsi, la vue d’un platane mal rangé est connue pour être une cause de profonde dépression chez les usagers de certaines nationales. Alors pourquoi le rire ?
L’anomalie propre à susciter le comique est d’un type particu- lier : elle est bénigne, évidente, réparable. Du moins doit-elle pou- voir être perçue ainsi. On ne rit pas d’un désordre lorsqu’il nous paraît grave, obscur ou irrémédiable. Vous voyez déjà où cela nous conduit : l’anomalie susceptible de comique est en fait un désordre qui n’entame pas le sentiment de sécurité et ne donne pas la per-
ception d’une nuisance réelle. Le mal perçu se trouve ainsi désa- morcé, incapable d’engendrer la tristesse.
Bien plus, puisqu’elle suppose une perception de son caractère anormal, l’anomalie a l’effet étonnant de confirmer le spectateur dans sa correspondance à la norme. C’est ici que naît le sentiment de joie qui accompagne le phénomène physique du rire : l’intuition de l’anormalité provoque par contraste la fulgurante certitude de posséder la vérité que l’on voit outragée. Cet éclair d’une connais- sance perçue comme certaine engendre une joie très vive, plus concentrée que la joie habituelle qui nous pénètre à la lente et pro- gressive compréhension d’une vérité acquise par degrés. Le co- mique est un feu d’artifice : la violence faite à la norme se trans- forme en une lumineuse et riante certitude, une explosion de clarté qui consume les doutes et s’élève avec assurance dans le ciel inté- rieur.
Voilà ce qui permet de concilier ces deux aspects d’apparence contradictoire. Au fond, l’humour est un optimisme de l’intelli- gence, qui préfère voir ce que l’erreur confirme de vrai plutôt que ce qu’elle commet de faux. Ne commencerions-nous pas à voir dans l’humour une vertu proche de la bienveillance et de la charité que doit cultiver le chrétien ?
Rire : tout un programme
Il pourra malheureusement sembler à certains esprits sceptiques que le rire est encore loin d’avoir produit ses preuves de noblesse. Après tout, n’est-il pas le grand absent des conciles, des loges ma- çonniques et des cabinets de dentiste, lieux par excellence où se scellent le destin du monde et autres cavités si conséquentes dans notre quotidien ? Le rire serait donc indigne de recevoir l’attention des grands hommes ou de figurer dans les pages d’une revue comme Plaisir de Lire.
Taïaut donc, donnons-leur le coup de grâce. Puisque le rire naît d’une évidence, il suffit de posséder une vérité pour être susceptible
d’être amusé lorsque nous assistons à une situation qui la bafoue de manière bénigne. Du moins, en théorie. Car il semble bien man- quer quelque chose à notre recette.
Vous arrive-t-il de rire tout seul ? Bien évidemment. Mais vous avez certainement remarqué un phénomène bien établi et pourtant un peu mystérieux : la contagiosité du rire. Non seulement le rire se communique, mais il se déclenche aussi plus facilement à plu- sieurs que seul. Tel jeu de mots qui nous fait sourire au volant dé- clencherait notre esclaffade au milieu de nos collègues. Comment cela se fait-il ?
C’est à la fois la conséquence et la transposition de ce que nous avons pu observer de la nature du rire. On rit parce qu’on sait. Mais dans un groupe, on rit aussi parce qu’on sait que l’autre sait. La joie de l’intuition certaine s’augmente en société d’une autre certitude : celle de la communauté de connaissance. Nous pouvons ici parler d’une authentique connivence (du latin cōnīveō, faire un clin d’œil1). Savoir que nous partageons la même certitude est source d’une joie nouvelle qui décuple la première en l’enrichissant. Ce n’est plus une vérité qui fait l’objet de notre soudaine délecta- tion, mais deux : la connaissance de la norme bafouée et la connaissance de la norme partagée.
Ici la violence est nécessaire pour réfréner l’enthousiasme de notre plume. Cette connivence dont nous parlons est exactement conforme à la définition que donnent nos philosophes d’un bien commun, c’est-à-dire un bien spirituel dont on jouit en commun. Savoir que l’autre sait revient à cela : posséder la certitude d’une fruition commune de la vérité, se délecter d’une similitude d’âme. Ce n’est pas autre chose que l’amitié au sens le plus noble du terme. Mesurez à l’hilarité qui peut saisir un groupe d’amis la joie que procure le bien commun ; vous aurez alors une idée du bon-
- Étymologie véridique quant au mot, mais fausse quant à l’interprétation : en réalité cōnīveō donne aussi « fermer les yeux », donc « faire preuve
d’indulgence », sens d’où provient notre coniventia, « indulgence », « bien- veillance ». La coïncidence est amusante.
heur très réel et très doux que procure à la société l’harmonie des esprit lorsque la politique a la sagesse de s’y ordonner.
Bien évidemment, je concède aussitôt aux penseurs moroses que la seule intensité sonométrique d’une hilarité de groupe ne suf- fit pas à conjecturer de l’excellence de leur amitié. Il faut plutôt mesurer ici l’élévation de la vérité partagée. C’est elle qui dira la qualité de l’amitié, tandis que l’intensité ne dira que sa force. Le volume du rire dans un groupe augmente avec la cohésion de ses membres, la qualité du rire avec leur élévation. L’un comme l’autre, tout en étant distincts, sont également cause de la joie qui unit les membres ; ils sont donc également précieux à cultiver.
Voilà qui explique l’aberrante succession vocale et respiratoire à laquelle nous soumet le phénomène physique du rire. La nature nous étonne encore de sa merveilleuse harmonie ; ici la réalité cor- porelle se montre admirablement conforme à la réalité spirituelle. Le rire est bruyant parce qu’il a pour fonction de se communiquer. Il est renversant parce qu’il supplante toute autre activité, ayant mis l’homme en contact avec son bien ultime. Il est joyeux parce qu’il rend perceptible l’amitié et du même coup l’augmente. Le rire est le plus parfait achèvement auquel la cité puisse aspirer.
La critique de la satire
Au bout de ce petit voyage, tâchons de répondre à la question qui nous préoccupait initialement : la satire est-elle permise ?
À l’évidence, le comique est, par définition, satirique. En effet, qu’est-il sinon la perception d’une anomalie, implicitement dénon- cée comme telle, contre laquelle nous nous réjouissons de pouvoir affirmer intuitivement la véritable norme ? En ce sens la satire, c’est-à-dire la critique par le rire, n’est rien d’autre que l’exercice conscient et appliqué à un point précis de ce que le rire fait incons- ciemment partout où il résonne.
Or le rire, comme toute action de l’homme, est occasion de son excellence. Nous avons vu comment il coïncide avec la recherche
d’un certain bonheur naturel fondé sur la vertu. Il peut toutefois être dévié de sa finalité. L’orgueilleux, celui qui n’a d’amitié que pour lui-même, rit tout seul d’un rire plein de suffisance ; c’est pré- cisément qu’il se suffit à lui-même, qu’il est sa propre compagnie, celle à laquelle aucune autre ne lui semble préférable. Il rit des autres en se prenant à témoin de leur bêtise et en s’autocongratu- lant de n’être pas comme eux. Mais il ne tient qu’à nous de ne pas rire ainsi.
Une certaine satire semble par conséquent permise, dans les mêmes limites que le rire. Comme pour toute faculté humaine, ces limites sont celles de la morale. Le rire, pas plus que l’intelligence ou que l’art culinaire, n’a les promesses de l’infaillibilité. Son usage doit se conformer à ce qui est vrai et bon. Ainsi, l’anecdote fameuse de la vie de saint Thomas d’Aquin condamne l’humour dès lors qu’il passe par le mensonge, même léger. La satire devra principa- lement veiller à ne blesser ni la justice ni la charité. Boileau, redou- table polémiste, implacable envers ses ennemis littéraires, prenait toujours soin de distinguer l’homme de l’écrivain, réservant la vio- lence de ses traits aux ridicules du mauvais auteur et se taisant sur le reste.
La satire est donc une arme redoutable, capable de tout rendre ridicule : le talent de nos grands écrivains le prouve, parfois pour le pire. Méfions-nous du ridicule ! Il n’est en effet qu’une forme que l’on donne à la situation que l’on veut dénoncer. Rien ne naît ridi- cule, tout peut le devenir. Nous souvenant finalement qu’à l’instar de toute chose, le rire a sa raison, écoutons la sagesse d’un classique nous donner la juste mesure de nos amusements.
« Il ne faut point mettre un ridicule où il n’y en a point, c’est se gâter le goût, c’est corrompre son jugement et celui des autres ; mais le ridicule qui est quelque part, il faut l’y voir, l’en tirer avec grâce, et d’une manière qui plaise et qui instruise. »
La Bruyère, « des Ouvrages de l’esprit », 68, les Caractères
Bastien Précœur
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