Henri Pourrat, un auteur à redécouvrir…

Auvergne, jeunesse et souffrance, grand vent et liberté. Et, au fond de l’être, un ressort secret, celui de l’amitié.

Pourrat est un écrivain, mais surtout, c’est un chrétien que la vie a conduit à écrire : la source de sa poésie si riche et si douce, se trouve dans l’Evangile.

Né le 7 mai 1887 à Ambert, Henri « monte » à Paris après ses études pour préparer le concours d’entrée de l’Institut national agronomique Et là, il fait la première rencontre décisive de sa vie : la maladie. Pour essayer de vivre au lieu de mourir, le jeune homme rentre au pays où, pendant un an, il se trouve entre la vie et la mort. Puis sa santé s’améliore lentement. Ses poumons sont atteints, certes, mais avec un grand repos et un exercice approprié, il peut vivre. Commence alors, dans la maison familiale, une vie réglée à la perfection. Que faire lorsqu’on est alité une partie de la journée ? Ecrire. Que faire lorsqu’on est coupé de la vie active ? Cultiver l’amitié.

Un chemin éprouvant qui mène à la grandeur

Dans le renoncement de la vitalité d’une jeunesse bouillonnante, jeunesse qui nous permet de croire que nous sommes maîtres du monde, Henri Pourrat a dû abandonner ses premiers projets. C’est ainsi qu’il a eu l’occasion de cultiver ses qualités. Agronome, il ne pouvait l’être, mais le contact avec la nature l’a conduit à mieux connaître la terre. Malade, il aurait pu se replier sur lui-même, être tenté par l’inactivité, mais il n’a pas renoncé à marcher, et il a parcouru les chemins, rencontré les uns et les autres. Il leur a parlé et les a écoutés. Il les a faits vivre en lui ; en fait, il a pris conscience de la grandeur de chaque être et tout simplement de la beauté de la vie.

Quand on reçoit un champ en héritage, terre mille fois labourée, il nous est plus aisé de passer une fois de plus la charrue et de tracer notre sillon. D’un certain point de vue, Henri Pourrat a reçu ce privilège. La famille, l’Auvergne -la France donc- et la maladie ont été ses premières richesses. Et l’amitié a été l’un des jaillissements de sa vie intérieure.

Puis l’orage s’est annoncé, les canons ont tonné : la guerre de 1914 a éclaté. Pour Henri, pas de départ sous les drapeaux mais une communion profonde à la longue souffrance des enfants de France. Nous n’avons pas connu cette guerre des tranchées, cette guerre d’usure et de longue patience ; cette obéissance nécessaire en vue d’un destin que nous ne connaissons pas ; cette mort à nous-même, allant jusqu’à l’acceptation de la mort physique pour que vive la France. Pourtant nous sommes bien les héritiers du sacrifice qu’ont fait nos soldats. Nous sommes donc attachés à leur vaillance et toute la grandeur des siècles passés nous pousse à aller de l’avant. C’est l’empreinte que l’œuvre d’Henri Pourrat laisse en nos âmes. Il nous touche par sa transparence et par sa lumière. Il nous touche par sa simplicité.

Une œuvre imprégnée d’espérance

L’œuvre d’Henri Pourrat n’est pas seulement éclairée par la foi, elle est portée par elle et mène de la terre au Ciel. Si l’on choisissait un maître-mot pour ses écrits, cela pourrait être celui de Résurrection, car il nous mène bien de la beauté première à la vie éternelle. Les chemins que nous parcourons avec lui n’en restent pas moins, souvent, des chemins de souffrance. Mais la vaillance est toujours là. La peine est unie à la joie ; les difficultés nous font aller de l’avant : dans ses contes, le mari et la femme font face ensemble aux épreuves et la ruse de l’un vient en aide à la naïveté de l’autre.

La jeunesse est enthousiaste, la vieillesse est devenue sage. Si le ciel est gris le matin, les nuages seront dorés au soleil couchant. L’espérance vivifie l’œuvre d’Henri Pourrat. Le chemin qui est tracé est nettement défini : on monte ou l’on descend. On peut prendre des sentiers de traverses mais l’on sait où l’on va. Cette profonde rectitude qui ne dévie jamais, fait de lui notre ami.

Un roman inoubliable

Dans l’enchevêtrement des aventures de Gaspard des montagnes, tous nos sentiments sont mis à l’épreuve : nous aimons, nous doutons. Nous connaissons la peur, l’angoisse, la répulsion. Nous avons hâte de connaître la suite du récit, puis la fin. Et la fin ne vient pas. Seul le jour se lève. Anne-Marie va-t-elle vivre ou mourir ? A nous de choisir. Nous pouvons décider qu’elle pourra vivre heureuse avec Gaspard ou croire plutôt que, pour Anne-Marie, la vie va finir et que l’heure de la vie éternelle a sonné. Quoi qu’il en soit, la fin est belle.

Il y a tant de délicatesse dans cette œuvre, tant de précision dans les mots, tant de connaissance de l’Auvergne, tant d’hommes et de femmes comme nous, que nous nous trouvons en bonne compagnie. Nous ne sommes plus seulement nous-mêmes, avec nos problèmes. Nous touchons l’universel.

Pourrat a le talent de nous ouvrir à la noirceur de certaines âmes sans nous faire désespérer parce que son œuvre est trempée dans les eaux du Baptême et qu’elle est éclairée par les rayons de la Résurrection.

Le fil d’or…

Et justement, un jour, Henri Pourrat, parce que sa santé est suffisamment rétablie, pense qu’il peut se marier. Il a quarante et un ans quand il épouse Marie Bresson en 1928. Ils auront trois enfants : Françoise, Claude, son fils, et Anne. Il fait construire une maison droite comme lui, bien pensée, harmonieuse et équilibrée. Tout est si bien réglé… et pourtant la maladie revient et emporte la fille aînée, Françoise âgée de dix ans seulement. Cette peine-là, on la retrouve dans l’œuvre d’Henri Pourrat. La mort vient sans être invitée, on fait tout pour l’éviter. On ruse avec elle, car dans les contes, elle est un personnage bien vivant. Mais cette mort, que l’on peut repousser pour un temps, quand elle revient avec sa faux, n’éteint pas notre lumière intérieure. Elle ouvre une porte jusque-là fermée. La mort, conséquence du premier péché, celui de nos pères, n’est pas souvent la bienvenue, mais le Christ est ressuscité et Henri Pourrat ne l’oublie jamais. C’est pour cela que nous l’aimons : jamais il ne nous mène vers une cassure désespérante, vers un abîme prêt à nous engloutir. « Pour toute la route, nous dit-il, il faut montrer aux enfants comme ce monde peut être beau ! » Oui, nous pouvons le faire, parce que le fil d’or qui nous guide est celui de la foi. Il est incassable, il est inusable et, bien plus encore, il est notre force.

Des contes emplis de liberté

Tout cela Henri Pourrat va nous le dire dès à présent dans son introduction aux Contes de la Bûcheronne.

« Au-dessus des prés vides courait une moutonnante toison : la hêtraie pleine d’écureuils épluchant les faînes, de piverts frappant les troncs du bec, d’œufs tachetés dans leurs boules de plumes et de mousses. A la lisière, il y avait un singulier petit château, avec des toits bleus et un casque en bulbe sur une tour. » Voici la belle nature.

« Il faisait du vent, un vent qui passait à grandes ailes sur les têtes emmêlées des hêtres. Aux herbes, le long des banquettes, des grains d’eau tremblaient encore en étincelant. Quelle liberté, quels mouvements de l’air, dans ces fuites de brouillards déjà soulevés en nuages ! » Voici le vent et la liberté.

« Et ce val remontait vers de massives citadelles, les puys de gazon qui dominaient le site. Tout cela si paisible, en son ampleur reposée, mais déjà un peu fol, parmi tant de matin mouvant ; et si ancien, comme usé par les âges, mais tenant encore de l’enfance. » Et voici l’Auvergne, « ce pays d’ancienneté et d’enfance ».

Et si l’on s’approchait avec lui du peuple de la montagne, des bergères par exemple ? « Elles gardent leurs chèvres dans les genêts des pâturages. Les chiens viendront japper autour de tes jambes. Ne t’en soucie pas. Assieds-toi près d’elles, dans les grosses violettes et les airelles naines. Demande-leur s’il y a quelqu’un aux alentours qui ait renom d’être bon conteur ou bonne conteuse. »

N’oublions pas qu’Henri Pourrat fait la chasse aux contes. Il va les chercher sur le terrain et c’est alors que naît l’amitié, de l’amour des valeurs partagées : les bergères, « elles riront, elles t’envisageront avec une surprise pleine d’amitié déjà ». Le « déjà » est important. L’amitié ne tarde pas à venir quand les cœurs sont unis. Et cette amitié, Henri Pourrat, que nous n’aurons jamais la joie de rencontrer dans son Auvergne, nous la fait partager. Comme il devine que nous avons été ferrés par son écriture, comme il devine que nous sommes déjà proches de lui, il nous tutoie. Et ce n’est pas gênant ; ce tutoiement ne vient pas d’une soi-disant fraternité imposée, intrusive même. Non, réellement, Henri est pour nous un père… il est tout de même plus âgé que nous ! Il est peut-être un maître et nous sommes ses disciples mais il est tellement simple que ce tutoiement nous simplifie. Il nous fait retrouver l’unité de notre être propre et donc celle de notre vie.

« Les contes paysans ressemblent aux herbes qui tapissent le talus de la sente encaissée sous le houx et sous le bouleau : l’étrange feuille marquetée de livide de la pulmonaire, le millepertuis à mille trous d’aiguille, le millefeuille à bris en échelle, les guipures du géranium sauvage… Quel mariage de la pauvreté et de la finesse, de la richesse et de l’innocence ! Oui, toutes distances respectueusement gardées entre les œuvres de Dieu et les imaginations falotes de ses créatures, est-ce que les contes ne font pas songer à ces morceaux follement tramés de l’antique robe des montagnes ? »

Henri Pourrat, un auteur pour aujourd’hui ?

Alors, peut-on dire qu’Henri Pourrat a vécu il y a trop longtemps ? Que la nature qu’il a connue a en grande partie disparu ? Peut-on dire que nous sommes d’un autre siècle et que notre vision de la vie a totalement changé ? Le domaine de la science-fiction est-il vraiment beaucoup plus passionnant ?

Henri Pourrat nous conduit plus loin ; il nous fait grandir en nous-mêmes. « Sens-tu la chance de rencontrer sur les landes, en la personne de ces bergères, la gaîté d’esprit et la facilité de cœur qui rachetaient les duretés de l’ancienne vie ? Cherche donc cela toi-même, vivant encore, à la température du sang. Cherche-le là où l’air est plus net et plus fol, au-dessus des contrées lointainement couchées, là où l’eau sous la branche qui balance dévale plus transparente et plus furieuse. Monte au pays des grosses pierres et des fleurs fines. »

Alors, avons-nous toujours quelque chose à apprendre de la France chrétienne ou serons-nous libérés en nous coupant de nos racines ? Que nous dit encore Henri Pourrat ? « Qu’il faut être toujours porté de bon vouloir, faire riant visage à tout et à tous, aux petits encore plus qu’aux autres ; et ne pas vivre tant qu’on n’aura pas mis de l’amitié dans l’air ; qu’il faut aussi jamais ne s’ébahir de rien, et, tourné du côté de l’espérance, aller, marcher, se baller de tout, et se porter toujours plus outre. Pour tout dire, en l’un des plus beaux mots de France, elles t’apprendront le bon courage. Le bon courage ne te mettra pas au plus haut, mais il te mettra au grand large. Avec lui, te voilà maître de la campagne ; tu peux faire route et monter ».

Mais nous sommes si fatigués de lutter contre vents et marées, nous voudrions tant pouvoir nous reposer ! Alors écoutons encore un petit mot de notre ami : « Apprends bien ce que sont gaîté d’esprit, force de cœur, et il y aura de perpétuelles vacances dans ta vie, avec ce vent pour t’enlever toujours comme si, redescendu dans la plaine, tu continuais de marcher sur les brillantes montagnes. » [1]

Sophie Guillhem


[1] Préface des Contes de la Bûcheronne