Henri Pourrat – (suite)

Les amis d’Henri Pourrat –ceux qu’il avait de son vivant- le pressaient d’écrire ses mémoires. Il lui semblait plus important de terminer auparavant sa longue quête sur le terrain du trésor des contes : elle lui permettrait de transmettre dans des récits à la portée de tous, les valeurs qui furent celles de la chrétienté.

Henri Pourrat avait compris qu’il vivait une époque charnière. Ce qui avait fait notre civilisation chrétienne pendant des siècles menaçait d’être englouti : non seulement la foi et notre mode de vie mais le paysage lui-même. Les villages désertifiés qui tombaient en ruine ne donnaient, hélas, qu’une faible idée de l’état de la société. Sapée dans ses bases elles-mêmes, elle finirait par s’écrouler, cela Henri Pourrat l’avait bien compris. Elle ne pourrait se relever qu’à une seule condition : que l’homme retrouve son âme et reprenne le long combat de la vie.

Répondre aux questions essentielles

Il retrace alors pour nous ce long cheminement intérieur qui fut d’abord le sien. En permettant à ceux qui errent à la recherche de leur identité de retrouver leur place véritable dans ce monde, il remet simplement en lumière la raison de notre existence.

« Qu’est-ce qu’être un homme ? Qu’est-ce que la vie ? Qu’y aurait-il à voir et à comprendre ? A quoi bon tout ce qui existe ? Pourquoi est-on venu, avec cette tête qui cherche, ce cœur qui bat, et qu’a-t-on à faire en ce monde ?

Il faudrait… Ah ! il faudrait que ce fût aussi simple pour les humains que pour cette anémone rouge. Comme la graine tombée là dans un peu de terre, entre deux blocs de granit, savoir ouvrir sa feuille, sa tige, sa fleur, monter et se déployer vers le soleil. »[1]

Notre esprit va toujours plus loin dans sa recherche de la vérité. Il veut comprendre parce qu’il peut comprendre.

« Quelle est la vérité sur la vie, sur ce que l’homme a à en faire ? Telle est la question des questions. Le Christ est venu y répondre. Même, hors ce qu’il est venu dire, pas de réponse à cette question-là. Aimez-vous les uns les autres. Tout est dans ce commandement d’une simplicité solaire.

Dieu a voulu que dans toute la Création, de la pierre à la plante, de la plante à la bête, de règne en règne la vie montât. Sous son souffle, elle a trouvé la géométrie du cristal, puis la croissance de l’arbre, puis le mouvement, le sang chaud, l’instinct animal. Chaque fois, par un coup de génie prodigieux, elle a dépassé toutes les données du règne antérieur. »[2]

Puis vient l’homme. « Au-dessus des trois règnes, le règne humain s’élève à plus de vie encore… Il a l’action et la raison ; il a l’esprit, le choix, la liberté. Il se sent libre : faire ou ne pas faire. Mais faire quoi ? 

C’est le Christ qui révèle à l’homme sa destination profonde : l’âme est faite pour aimer. Vous êtes fils d’un même Père, qui vous aime : soyez ces frères, entr’aimez-vous, entr’aidez-vous, travaillez à faire ce monde tel que le Père a désiré qu’il fût. 

Servir et aimer, voilà la certitude intérieure de l’homme, inscrite dans sa nature, comme la figure de son cristal l’est dans la nature du quartz.»[3]

Pour sauver notre intelligence et nous faire retrouver la foi, Henri Pourrat prend le chemin le plus simple : celui de la contemplation de la beauté. Celle qui nous entoure pour commencer, puis celle des âmes, et celle de Dieu qui nous attire à Lui.

« Si l’on savait faire silence et contempler, voir comme ce monde est beau !

Pour l’apprendre, il suffit d’une après-midi d’été dans la plaine… Il suffit d’une feuille d’herbe : la feuille à cent plis du fraisier sauvage, toute neuve et verte au talus du ruisseau… Il suffit de rien : de l’espace, de l’air, par un matin de mai, dans les fraîches montagnes… »[4]

Henri Pourrat ne nie pas la présence des ronces, la suffisance des orgueilleux ni même l’existence du démon, mais ils sont à leur place dans le plan de la Rédemption. C’est bien ce qui met notre esprit au repos, cet ordre retrouvé. « Le temps, on est forcé de s’en arranger comme il vient. Fais avec ce qui t’est donné, puisque tu n’as pas le choix. Ce qu’il y a, c’est qu’il faut faire ! « L’ouvrage commande. De toujours, ils ont su cela ces hommes : ceux qui la bêche en main, sous le soleil ou sous les pluies, aident la vie des herbes, des arbres, de bêtes à se faire plus vivante. Ils sont entrés dans la suite des saisons, dans l’ordre de la terre… La nature des choses leur apprend sa sagesse. » [5]

Le conte : un outil pédagogique.

Plutôt que d’écrire sa biographie, Henri Pourrat a préféré recueillir les contes que les bonnes gens des campagnes racontaient au cours des veillées, ceux que l’on risquait d’oublier, ceux qui vivaient encore. Travail long et méthodique qui lui a fait parcourir tous les villages. Mais s’il arpentait ainsi le présent, c’est qu’il pensait au futur. Il savait que ses écrits ne vieilliraient pas, que les lecteurs des siècles à venir, en ouvrant ses livres, retrouveraient la terre de leurs aïeux, que le passé reprendrait vie à leurs yeux. Nous serions touchés, il le pressentait, par la simplicité des personnages, leur acceptation de leur condition humaine et par là même, leur vaillance, leur compréhension de la souffrance. En effet, compagnons de misère comme nous, ces bonnes gens nous transmettent leur bonne humeur, leur goût du rire et du sourire et leur humour.

L’œuvre d’Henri Pourrat est donc ordonnée, paisible et remplie de joie. Or cette joie, justement, se traduit par pallier. Toujours humble et discrète, elle monte de la terre comme cette vapeur qui s’élève du sol certains jours d’hiver. Elle colle à nos souliers comme la terre mouillée par la dernière pluie. C’est cela. Pourrat nous mène de la pluie au soleil. Il nous élève. Par la longue patience qu’il a eue envers lui-même, il a gagné ce doigté qui permet de nous atteindre au cœur sans nous froisser. Il a trouvé la manière d’éclairer les esprits sans longs discours, juste en nous faisant « toucher terre ». De cette manière, Pourrat est missionnaire. Il est un humble missionnaire qui s’est pris par la main lorsqu’il avait vingt ans, et qui, mourant, a gardé le goût de la vie. Puis lorsque la mort a fauché ceux qu’il aimait il a, dans une longue méditation, permis à sa foi de s’approfondir.[6] L’arbre émondé perd de son branchage, certes, mais des rameaux ressurgiront et les feuilles neuves seront vertes. Henri Pourrat est passé par ce dénuement intérieur extrême, peut-être est-ce la raison pour laquelle il a laissé le récit de sa vie dans un coffre au trésor dont il n’a pas voulu soulever le couvercle. Mais il a semé toutes ses pièces d’or au travers de ses livres ; elles sont devenues poudre pour ne plus nous quitter. « Lève la tête, regarde, dans le silence pacifié de l’aurore. Déjà la rosée trempe l’herbe… Baigné de fraîcheur, le monde renaît du cœur profond de la nuit. Rien ne t’est dit, mais ne le sens-tu pas : une promesse de joie t’arrive. »[7]

Le chemin de l’espérance.

Henri Pourrat nous permet de comprendre les choses plus profondément et de les voir avec plus de hauteur. « Au sommet de la Création, il fallait l’être libre, donc capable d’aimer, pour aimer et répondre ainsi au Créateur. Le monde maintenant a un sens. » C’est la mission d’Henri Pourrat : nous mener vers l’espérance et nous laisser guider par elle. Non pas qu’il ait toujours été éclairé par une chaude lumière : il ne faut pas oublier qu’il a connu la première et la deuxième guerre mondiale et qu’il aurait pu désespérer de l’humanité. Mais non. « Des choses naturelles, il vient un tel conseil de joie. Tel, oui, que pour l’entendre on pourrait quelquefois faire taire le hurlement des sirènes et le train des soucis. Il y a cela, les prés, les bois, le ciel avec ses grands nuages passants et la jeunesse toujours retrouvée de sa profondeur bleue. Il y a cette libre, innocente et noble chose du plein air. Elle existe, et pour tous, tellement pacifiante. »[8]

Pourtant, à ceux qui pourraient croire qu’un simple retour aux sources suffit pour nous apaiser, ceux qui, par exemple, penseraient qu’un monde plus « écologique » nous rendrait la joie de vivre, Henri Pourrat répond :

« Comme les temps sont sans paix. Et comme l’homme est sans bonheur. A qui aller, pour vivre de vie ? Quel chemin faudrait-il prendre ? Tous les chemins mènent à Rome, et un seul ainsi, de partout, mène au Royaume : celui des ornières, des pierres et des épines. Parce que c’est celui de la montée : et qu’au haut seulement, où sont deux bois croisés, on voit s’ouvrir toute la lumière. » C’est le chemin de la croix, notre chemin à la suite du Christ. 

Alors, sommes-nous voués à marcher tristement à la suite du Christ ? Nous lasserons-nous de ce douloureux voyage ? Non.

« Pour toute la route, il faut apprendre aux enfants, avant qu’ils prennent le départ, que le monde peut être si beau et la joie si belle. Que même au temps noir, ils sachent avec des yeux clairs aller au-devant des jours… Plus tard ils apprendront ce que c’est que la peine, le sens qu’a la douleur, sans laquelle il n’est pas de noblesse, et l’amitié, meilleure peut-être que la joie. Mais la première chose reste de savoir qu’il est bon de vivre. »

Nous voulons travailler à restaurer un ordre temporel chrétien ; mais comment y croire encore lorsque le temps est à l’orage et que les vents semblent s’unir pour tout détruire ? « Rien ne sera fait tant que tant de gens répèteront que, pour en faire des malheureux, ce n’est pas la peine d’avoir des enfants. Comme si des hommes au vrai cœur d’homme, dans le malheur même, devaient jamais se sentir des malheureux ? »

Que faire alors ?

« Il faudra changer les conditions, c’est entendu. Il faudra surtout changer l’idée. C’est l’idée de jeunesse qui fait seule les redressements –et puisse-t-elle en France faire même un renouveau. Le sens inquiet des destinées de la Nation peut nous mettre dans le sang le désir de la vraie force. Ou d’un haut tournant dans les monts quelque immense découvert sur les rivières au loin, les villes et l’espace, nous rendre le sentiment d’une claire grandeur, d’une largeur de jeunesse. Mais il suffira peut-être d’un sapin de Noël sous ses chenilles de givre, ou peut-être d’un coloriage d’un livre d’étrennes. Retrouver une étincelle de l’enfance : croire de nouveau à l’innocente joie ; rapprendre d’un coup que le meilleur parti c’est encore d’accepter ce monde et d’aimer cette vie, puisqu’on peut la faire monter dans l’air, vers la lumière. »[9]

Ce grand homme est toujours présent parmi nous, le temps n’efface pas la trace de ses pas, ses sentiers ne sont pas étouffés par le passage des années. Son message est toujours neuf et le sera toujours. Henri Pourrat est un guide paisible et joyeux et si nous voulons passer un long moment auprès de lui, ouvrons son livre de Gaspard des Montagnes. Ne soyons pas pressés, nous commençons une longue aventure…

Sophie Guillhem


[1] La Bienheureuse Passion. Ed. Albin Michel

[2] La Bienheureuse Passion. Ed. Albin Michel

[3] La Bienheureuse Passion. Editions Albin Michel

[4] L’Almanach des saisons. Editions Albin Michel

[5] L’Almanach des saisons. Editions Albin Michel

[6] Henri Pourrat a perdu à la guerre son ami d’enfance, Jean Angeli, puis son frère Jean. Son autre frère, est mort de maladie et le dernier, Paul, a péri dans un accident. Sa fille aînée a vécu seulement jusqu’à l’âge de dix ans.

[7] L’Almanach des saisons. Editions Albin Michel

[8] L’Almanach des saisons.  Editions Albin Michel

[9] Le blé de Noël Editions Sang de la terre