Alain d’Orange,un illustrateur inoubliable

Redécouvrir Alain d’Orange, cet illustrateur de la fin du XXe siècle, c’est le défi que nous nous sommes lancé pour égayer ce numéro de rentrée. Beaucoup d’entre vous reconnaîtront le trait de plume typique qui a illuminé de si nombreux ouvrages des éditions Bonne Presse, Téqui, Mame, Gautier- Languereau, des collections Suzette, Lisette, Âmes vaillantes, Jean-François, Monique, Cœurs vaillants, Bernadette… et tant d’autres !

Et pourtant, rien ne destinait à cette carrière ce fils d’officier né à Colmar le 7 janvier 1923, si ce n’est le modèle de l’un de ses cousins, Pierre Rousseau, illustrateur et peintre officiel de l’armée 1. Après des études classiques, Alain d’Orange, grand admirateur de Pierre Joubert, passe deux ans aux Arts appliqués de Paris. Hésitant encore sur la carrière à suivre, il est représentant en assurances avant d’entrer à La Bonne Presse et chez Fleurus.

Illustrateur infatigable, il a produit plus de 10 000 planches de bandes dessinées et réalisé des milliers d’illustrations. Nouvelles, contes, articles, mais aussi romans complets, histoires à suivre dans les revues, BD, couvertures, on ne compte plus toutes ses œuvres !

Parmi d’autres, deux excellents scénaristes l’ont accompagné tout au long de sa carrière : Guy Hempay (Jean-Marie Pélaprat)2 et surtout Henriette Robitaillie 3.

C’est  à  lui  que  Serge  Dalens 4   confie l’adaptation en bandes dessinées de trois des aventures du Prince Éric : le Bracelet de vermeil, le Prince Éric, la Tache de vin.

Alain d’Orange illustre aussi de nombreuses vies de saints et d’autres personnalités chrétiennes. Ainsi, dans la collection Belles histoires, belles vies, il dessine notamment les vignettes de Saint François de Sales, Saint Pierre, Charles de Foucauld, Jean l’Évangéliste et Saint Jean Eudes.

En 1960, il vante dans une BD les biscuits Petit-Exquis l’Alsacienne pour une campagne publicitaire de l’agence Unipro.

Un style inoubliable

On sent la légèreté et la sûreté du geste dans chacun de ses dessins. En quelques traits, légers et incisifs, il donne vie à ses personnages aux formes souples et gracieuses et parvient à saisir l’essentiel avec élégance.

À chaque genre, il trouve le bon ton : pour les BD, un style dynamique et enlevé ; pour les vies de saints, des planches au lavis avec le style paisible des images pieuses qui offrent des illustrations soignées et respectueuses ; pour les livres des collections enfantines, des dessins lisibles, rapides et efficaces. Ses croquis sont à peine enrichis de couleurs (lavis, bichromie, légères aquarelles…) mais gardent une fraîcheur qui plaît toujours au XXIe siècle !

Très exigeant avec lui-même, Alain d’Orange travaillait beaucoup : il passait des mois entiers sans prendre un jour de repos. Passionné d’histoire, il ne dessinait jamais sans avoir fait des recherches qui le protégeaient de tout

anachronisme : « J’ai toujours fait très attention à la documentation et me suis tenu à ne jamais faire n’importe quoi. Si l’histoire se passe en 1850, il ne faut pas dessiner des costumes datant de 1860. »

Travailleur et humble

Si certains croient que le dessin est inné chez lui, ils se trompent ! Il avoue qu’il n’a pas appris à dessiner aux Beaux-Arts et qu’il se trouve régulièrement devant des difficultés de réalisation.

Sa femme racontait que quand il dessinait, il répétait souvent : « Je ne sais pas dessiner, je ne sais pas dessiner » !

Des convictions fermes et une grande franchise

Cohérent avec lui-même, il insiste :

« S’il y avait eu quelque chose qui aurait choqué mes conceptions chrétiennes ou morales, je n’aurais pas dessiné l’histoire. » Cependant, il n’hésite pas à dire qu’il préfère réaliser les illustrations des livres : « C’est plus facile et plus intéressant. La bande dessinée, c’est rasant comme tout. Ce métier est un esclavage, un travail

à la chaîne. Au début, la difculté était de trouver la place respective du texte et du dessin : ce n’était pas commode ; quand c’est devenu plus commode, c’est resté rasoir ! »

Il  confie  avec  une  certaine  amertume  à Évariste Blanchet 5 : « J’ai regretté de ne jamais connaître l’opinion de ceux pour qui je travaillais : jamais une critique, jamais un compliment en 30 ans ! Je ne devinais que ça convenait que parce que l’on continuait à me commander des travaux. » Un jour, lassé de son public sans réaction, il raconte :

« Voyant que personne ne réagissait à mes BD, je me suis amusé à dessiner un vélo posé contre le mur d’une cathédrale dans une BD sur le Moyen Âge, Je m’attendais à recevoir des lettres de protestation. Eh bien, rien, personne n’a rien vu ! »

Une n de carrière difcile

En 1980, une nouvelle génération d’illustrateurs envahit le monde de la littérature enfantine et Alain d’Orange est licencié, après trois décennies de fidélité. Il connaît ensuite deux années difficiles de quasi-chômage, tout en affrontant un dur procès contre Fleurus aux Prud’hommes.

Il reprend pied en participant au mensuel scout édité par les scouts de France. Il y publie Premier Camp, bande dessinée à suivre évoquant la jeunesse de Baden Powell, et reprend plusieurs activités dans la littérature religieuse. Il travaille aux éditions du Signe jusqu’en 2006 : année où il prend une retraite bien méritée, à 83 ans !

Alain d’Orange décède le 7 décembre 2017, à l’âge de 94 ans, après une carrière impressionnante de près de 60 années.

Ses trois enfants – Philippe, Françoise et Hélène – avaient entrepris avant la crise sanitaire de faire revivre l’œuvre de leur père. Ils ont numérisé et classé l’ensemble des originaux qu’ils ont pu récupérer et cherchent à retrouver toutes les planches d’origine. Ils envisageaient   une   exposition   à   Paris   en septembre 2021, présentant de   nombreux   dessins   et autres œuvres inédites, et préparaient également un site internet en espérant pouvoir sortir et diffuser les premiers albums début 2022. Il semble que tout cela ait pris du retard mais nous attendons avec impatience de pouvoir admirer leur travail pour remplir encore nos yeux du talent de leur père !

Philippine Chambe

Sources :

Revue : HOP ! N°111

Site : Bdzoom.com et autres blogs

1 On lui doit notamment la couverture du célèbre Grands Cœurs de de Amicis et l’illustration des catéchismes pour enfants du chanoine Quinet.

2 Jean-Marie Pélaprat, qui a aussi écrit sous le pseudonyme de Guy Hempay, a été scénariste aux éditions Fleurus et a produit de nombreuses séries de BD comme Frédéri le Gardian (dessinée par Rigot), Alex et Eurêka (dessinée par Brochard), Cotignac (dessinée par Alain d’Orange).

3 Journaliste, écrivain et scénariste de bande dessinée française. Elle a écrit de nombreux romans pour la jeunesse notamment pour les collections Lisette, Monique, Bibliothèque de Suzette ou pour la collection Signe de Piste.

4 Nom de plume d’Yves Marie Paul Raoul, comte de Verdilhac ; il a également utilisé les pseudonymes de François Thervay et de Mik Fondal, collectif avec Jean-Louis Foncine.

5 N° 111 de Hop !